Interview de Benjamin Biolay
http://www.commeaucinema.com/notes-de-prod/pourquoi-tu-pleures,186656-note-88172Comment avez-vous rejoint le projet ?
Voilà quatre ans, Katia avait réalisé un court métrage pour Canal + dans lequel je jouais, et nous avions sympathisé. Elle m’avait écrit un "non-sujet" très malin, traité avec humour et humanité. Mieux vaut parler brillamment de ce "rien" qu’est le quotidien plutôt que de parler mal de grandes choses !
On la sentait déjà très à l’aise en tant que metteur en scène. Elle avait déjà sa méthode, un bordel organisé où les choses se passent de manière réaliste sur un canevas très écrit. J’ai été très heureux qu’elle veuille faire son long métrage avec moi. Je savais qu’elle écrivait pour moi et j’en étais touché. Entre sa vie privée et ma tournée musicale, il a fallu un peu de temps pour trouver un créneau, mais cela a aussi permis au projet de décanter.
Je suis d’abord musicien, et le cinéma est un prolongement que je prends sans prétention, comme un plaisir et une chance. Je peux mettre la musique de côté un moment, mais je ne me vois pas l’abandonner pour le cinéma. Dès que j’ai lu le scénario de Katia – fin, amusant, ambitieux – j’ai eu envie de bien faire ce travail, et aussi, après des années quasi obsessionnelles dans la musique, de trouver du plaisir dans ce changement d’activité.
Comment voyez-vous votre personnage ?
Avec humour, Katia arrive à parler de choses intimes, importantes, avec une part d’autobiographie qui lui est propre et n’écrase cependant pas le propos. Je joue donc un homme qui va se marier après avoir beaucoup subi les femmes de sa vie, avec un matriarcat un peu violent, un père absent puis mort. Ayant atteint la trentaine, il est à une période charnière où on se dit, juste avant le mariage, que s’engager c’est renoncer, mais aussi découvrir d’autres choses. Sans accepter forcément tout ce qu’on lui impose, il n’ose pas dire non. Vivant dans un milieu bourgeois, il est un peu coincé par les mœurs, les codes et le fonctionnement de la famille française. Ces quelques jours mouvementés vont l’aider à devenir adulte.
Vous sentez-vous proche de votre personnage ?
Pas du tout. J’étais déjà un adulte très structuré lorsque j’ai fait le choix de me marier.
C’est assez loin de moi. En filigrane, le film esquisse un peu tout ce que ce type aurait pu être. On devine qu’il a été à deux doigts de tout lâcher – comme ces gens qui envisagent d’aller creuser des puits au Niger ou planter des carottes en Ardèche et n’y vont jamais. J’étais donc au service du rôle. Au cinéma, faire ce que quelqu’un veut m’intéresse.
Comment avez-vous réagi en apprenant qu’Emmanuelle Devos serait votre grande sœur et Nicole Garcia votre mère ?
Jouer avec des comédiennes si généreuses, avec un tel esprit de troupe – comme toute l’équipe – était vraiment une chance. Dans le jeu, je m’efforce de penser que je vis vraiment tout ce que je suis en train de faire. Je joue avec deux comédiennes très techniques dotées d’un remarquable sens de la précision. Comme dans un match, on joue beaucoup mieux face à des gens qui jouent bien. Jouant avec des comédiennes très à l’aise, très actives, j’ai l’impression d’avoir fait des progrès. Dans la vie, j’ai une vraie complicité avec les deux. J’étais l’acteur principal, mais ma mère et ma sœur étaient les stars. Jouer avec ces deux immenses actrices était vraiment une expérience géniale.
Hormis les personnages de vos potes, vous êtes presque le seul homme du film...
Effectivement. Je suis le petit frère de la grande sœur, l’amoureux de Sarah, le mari en doute de Valérie, le fils qui en a un peu assez de sa mère. Beaucoup d’aspects différents d’une même personnalité. Le rôle rassemble presque tous les types de rapports que l’on peut avoir avec les femmes.
Je joue quasiment une histoire avec chacune de mes partenaires, j’ai des rapports très précis avec chacune d’entre elles. Chaque rapport est assez fort, assez emblématique pour être une histoire en lui-même. J’adore quand on imagine tout ce monde. On se pose beaucoup de questions et il y a quelques réponses.
Si les scènes avec les femmes sont souvent des face-à-face, celles avec les copains sont plutôt des scènes de groupe. Je ne connaissais pas mes partenaires masculins. Nous nous sommes simplement rencontrés pour les répétitions, et nous nous sommes vraiment amusés. Je ne suis pas un acteur jaloux ou carriériste, et ils ont vu que j’avais envie de jouer avec eux. Il y a eu un bel échange sur une base d’humanité.
Comment travaillez-vous ?
Je relis les scènes et le scénario quasiment en entier tous les soirs. Je les travaille tout seul pour savoir exactement où j’en suis. Je suis un acteur très minimal, je le reconnais. L’exubérance et le cabotinage ne sont pas mon registre. Même si j’ai mon propre ressenti du personnage, l’écriture vous fait comprendre où vous devez être. Si je m’aperçois que j’ai envie de changer un mot ou deux, j’en parle à Katia.
Sentez-vous un parallèle entre le fait de travailler un texte pour l’écran et le faire pour vos chansons ?
Dans un cas, je génère le texte. Les chansons peuvent être assez abstraites, parfois hors des schémas de narration. On peut avoir une succession de phrases qui mises bout à bout, évoquent quelque chose ou donnent naissance à un sentiment mais sont des énigmes prises séparément. Elles sont plus difficiles à retenir, surtout quand on en a écrit beaucoup.
Quelle serait la différence avec le cinéma ?
Le chemin parcouru par certaines chansons est très tordu, mais on peut les dire sans les ruptures permanentes que demande le jeu. Cela n’empêche pas un duo ou un trio d’être hyper intéressant par le côté collectif. Les acteurs ont des ruptures dans leur débit.
Pour apprendre une chanson, il faut la jouer, garder le texte en mémoire – parfois grâce à des repères assez abstraits. Une espèce de routine sportive s’installe. Pour jouer, il faut comprendre ce que l’on dit, à quel moment on le dit, à qui et pourquoi on le dit. Parfois, une phrase sert uniquement de rebond pour le partenaire.
Pour jouer, mon expérience de musicien est plus utile que celle de chanteur. Être instrumentiste, c’est avoir l’habitude de jouer avec les autres, avec la même pensée sinon le même langage, en intégrant le sens des autres. Quand j’entends Emmanuelle ou Nicole, j’entends une sorte de musique, une ligne mélodique. Soit on se cale un peu sur les rythmes parce que c’est ce qu’il faut faire, soit on choisit d’être un peu en rupture ou de mettre la respiration. Avoir une rythmique un peu précise est un atout.
Comment les choses se sont-elles passées avec vos partenaires ?
Avec Emmanuelle, c’est instinctif, limpide. Elle met aussi énormément d’émotion dans ce qu’elle joue et on peut facilement la suivre. Nous avons eu beaucoup de choses fortes à jouer mais je me souviens particulièrement de la dernière scène tournée, qui est aussi l’une des dernières du film, un long plan séquence dans la rue, tourné de nuit, beaucoup de texte. Il y avait l’émotion du plan, l’émotion de la fin du tournage qui approchait, la nuit en plein Paris. Beau souvenir.
Avec Nicole, il faut avoir une rythmique assez carrée car elle a un débit très étrange, très jazz, absolument fascinant. On pourrait croire que c’est chaotique mais il suffit de la voir se doubler elle-même en post-synchro pour comprendre l’ampleur de sa maîtrise. Pour la scène de la gifle, nous n’avons pas répété. J’avais décidé de me rapprocher d’elle, ce qui n’était pas dans le scénario. En grande comédienne, elle s’est tout de suite adaptée. Je prends vraiment une grosse baffe et l’émotion de la scène m’a saisi, sans l’avoir vraiment vue venir. Je pleure vraiment. Je crois que c’était la première prise.
En jouant, apprenez-vous des choses de vous en tant qu’artiste ?
On peut se retrouver porté par une émotion surprenante – et elles sont nombreuses dans ce film. C’est possible avec le cinéma parce que ce sont les mots de quelqu’un d’autre face à des partenaires qui ont leur propre personnalité.
Pour une chanson, je fixe mes propres limites. Si je me mets à pleurer en chantant "Belle comme avec le temps", tout le monde comprendra pourquoi. Il serait grotesque que je perde un jour mes moyens en chantant quelque chose de plus banal.
Sur le film, je peux être plus surpris dans le non-jeu, les choses qui arrivent entre les mots. Dans beaucoup de scènes, j’avais l’émotion à fleur de peau. Beaucoup de situations m’ont touché.
je ne me souviens plus de l'avoir vue celle-ci ?
sinon je l'effacerais...