un long entretien , très intéressant .
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Hubert Mounier : "Le commerce a ses limites, pas la création"
Hubert Mounier délaisse de temps en temps sa guitare pour le crayon, sous le pseudo de Cleet Boris. Avec " La maison de pain d'épice ", l'ancien leader de L'Affaire Louis' Trio tend une passerelle entre les deux univers. Le CD sort chez Pias en même temps que la BD, qui en raconte la conception sort chez Dupuis.
Défendre à la fois une nouvelle bande dessinée sous le nom de Cleet Boris et un nouveau CD sous celui d'Hubert Mounier, ça ne rend pas un peu schizophrène ?Si ! En même temps, c'est le même gus qui vient défendre sa peau... C'est davantage une question de pseudo qui m'a rattrapé car, au fond, c'est mon boulot le moins schizo. Même si la BD est signée par mon double, elle raconte le journal d'un disque, ce disque.
Travailler dans deux univers artistiques différents au même moment à nourri l'auteur ?C'était intéressant surtout de pouvoir faire des passerelles entre les deux. Pour la pochette du disque, par exemple, avec une version photo et une version dessiné. Tout est fait dans le même état d'esprit.
La BD ne raconte pas seulement l'élaboration du CD " La maison de pain d'épice ", elle parle aussi de votre vie privée, en Ardèche.C'était une nécessité, parce que le lieu dans lequel je vis influence ce que je fais. La sérénité que j'y ai trouvée par rapport à la ville, l'absence de pression, jouent un rôle. Cela, même si l'angoisse de la créativité reste partout la même. Quand on cale, on cale, où qu'on soit, mais, ça pose moins de souci chez soi, dans un cadre tranquille.
Vous n'avez jamais vécu à Paris, mais ça n'a pas toujours été l'Ardèche non plus...Non, j'habitais à Lyon à l’époque de L’Affaire Louis’ Trio. Mais j’ai décidé de partir à la fin du groupe, parce que chaque coin de rue me rappelait le groupe. Je tournais en rond.
On apprend qu’après trois ans de travail, le disque commence à prendre forme. Ce n’est pas un rythme très speedé !J’ai toujours été un lent. Avec L’Affaire Louis’ Trio, j’étais amené à avoir une cadence de production qui était d’un album tous les deux ans, en gros. En solo, vu le contexte actuel, l’urgence n’est pas franchement perceptible. Autant travailler son ouvrage au maximum. Au départ, je comptais y mettre une vingtaine de chansons. Au final, il en reste onze. A force de réécouter, de m’interroger, j’épure. J’enlève ce qui est redondant, les chansons qui sentent l’effort, un peu brouillées par rapport au côté ligne claire que je voulais pour le CD comme pour le bouquin. Je me retrouve avec un album assez court. Cinq ans de travail pour 35 minutes de chansons, c’est un travail de fourmi ! J’ai voulu la simplicité, un principe guitare-basse-batterie sans gros arrangements, prévaut.
Il s’en dégage beaucoup de bonne humeur. Ce CD, c’est un petit bonheur solaire conçu par un auteur apaisé...Il a été pour moi une façon d’évoquer le bonheur, même en racontant des choses parfois un peu tristes, nostalgiques. Je préfère avoir la larme au coin de l’oeil en me remémorant un beau souvenir que pleurer sur moi parce que tout a foiré. Je l’ai fait suffisamment sur les deux albums précédents !
Qu’est-ce qui a changé ?Le fait d’avoir refait de la scène en 2006, avec des albums très intimistes qui devaient cohabiter avec des titres de L’Affaire Louis’ Trio. Le grand écart était difficile. J’avais l’impression de vivre vingt ans de ma vie chaque soir. Là, ces chansons me permettent de reprendre des affaires de L’Affaire Louis’ Trio que j’aime bien et des titres plus doux de l’album d’avant, sans qu’il y ait un trop gros déséquilibre, ni que ce soit trop dur à encadrer pour l’auditeur.
Jamais de lassitude par rapport au passé ? Au début de la BD, vous racontez comment vous avez dû " tuer " votre personnage de l’époque Louis’ Trio...De la lassitude, jamais. Le hic lié à la popularité, c’est qu’il y aura toujours une partie du public pour qui je serai le créateur de " Chic planète ". Tant pis, tous les chanteurs connaissent ça. Pour être honnête avec les gens, il y a des titres que je suis obligé de reprendre sur scène, mais reprendre les meilleures chansons du groupe, ce n’est pas un gros souci ! J’ai un public qui me suit soit depuis cinq ans, soit depuis vingt ans, et je me rends compte que je ne suis pas obligé de reprendre les singles, sauf des incontournables comme " Mobilis in mobile ", que je peux aller piocher dans mes albums suivant les envies du moment. " Chic planète ", aujourd’hui, je n’ai plus tellement envie de la chanter et les gens qui viennent m’écouter ne la réclament pas. Ils viennent plus écouter Hubert Mounier, sa vie, son œuvre, plutôt qu’une suite de tubes. J’ai arrêté de faire la Fête de l’Olive ou les spectacles grand public dont le groupe a pâti. Quand on est populaire, il faut jouer le jeu, et quand on fait un show gratuit genre la Fête de l’Huma, les gens viennent écouter ce qu’ils connaissent.
Ça a usé le groupe ?Oui. Ce n’est jamais agréable d’être réduit au côté " personnages de BD ", chansons rigolotes. Les deux autres surtout en souffraient, car c’était toujours moi qui apportais ce genre de bêtises. Ça les gênait un peu aux entournures qu’on leur parle de ça alors qu’ils n’étaient pas spécialement fans de bande dessinée. C’était un peu mon marketing perso que j’avais inventé. J’avais dit à un qu’il serait le capitaine Haddock, l’autre Spip, et ils s’étaient retrouvés un peu obligés de faire avec. Eux ont joué le jeu parce qu’à l’époque c’était relativement inédit. Mais dès qu’on a pu passer à autre chose, ils en ont été très contents de se laisser pousser les cheveux et de la jouer " on est rock ". Très bien, vous êtes rock, les gars ! (Rires.)
Avant de reprendre pour " La maison de pain d’épices ", la bd, c’était logiquement terminé ?Oui. Déjà que j’en avais fait toujours en dilettante, si je n’avais pas un projet qui me passionne ou une demande comme ici, je n’aurais pas voulu en refaire. J’ai traversé une période difficile, et je ne me voyais pas me disperser. J’ai compris avec les années qu’il vaut mieux faire les choses une par une. J’avais quasi fini le disque quand on m’a proposé la bd, le procès allait arriver, ça allait être très long avant de trouver une autre maison de disques, ça me laisser le temps de faire cette BD.
On voit dans l’album BD que le 8 février 2008, quand votre maison de disques vous a signifié la fin de votre contrat, ça a été un anéantissement pour vous.C’est là que j’ai regretté de ne pouvoir faire une version plus hard du bouquin. Le courrier que m’a envoyé le patron de mon label discographique, c’est à encadrer tellement c’est vulgaire, idiot. Je les ai attaqués en me disant qu’ils n’avaient même pas compris qui j’étais, ce que je pouvais espérer d’eux. Ce patron m’a envoyé des courriers dans lesquels il me reprochait de le vouvoyer. Il aurait voulu que je fasse comme si on était potes comme cochons alors que ça faisait des mois qu’il massacrait mes disques. C’était juste son ego qui était vexé parce que je lui avais envoyé du " Monsieur ", de l’officiel, mais c’était parce qu’il y avait un avocat derrière tout ça. Quand j’ai vu comment il le prenait, je me suis décidé à attaquer de façon tout à fait classique, en laissant les prud’hommes trancher. Pour moi, ce n’était pas du tout une querelle d’hommes, mais d’un artiste envers un système. Quand j’ai sorti " Voyager léger ", qui était un album délicat, à défendre avec finesse, eux se battaient pour Grand Corps Malade. Ils en ont vendu des wagons, et je ne peux pas leur en vouloir pour ça, mais ce n’était pas une raison pour me dire que ce que je faisais, c’était de la merde.
Ça blesse?Si on n’a pas le moral suffisant, on s’écroule et on se retrouve dans les oubliettes d’une grosse multinationale. Moi, je me suis défendu bec et ongles. Et j’ai survécu. Je me suis rendu compte, une fois le procès bouclé, que j’avais été malheureux chez eux. Que cette espèce d’indifférence polie, " oui, oui, tu as été vedette jadis ", c’est insupportable. Je suis bien mieux dans une maison de disques comme Pias, qui a moins de moyens mais plus de respect pour les artistes. Le mépris est vraiment douloureux. J’en ai discuté avec les gars des Innocents, virés de chez Virgin à peu près au même moment où j’étais débarqué de chez Barclay. Pourquoi on nous a montré la sortie ? Parce qu’on arrivait en fin de cycle. Ça faisait dix ans qu’on faisait de la radio, de la télé, qu’on était un peu les " gens assis " de notre génération. On n’intéressait plus, il leur fallait la vague d’après. C’est normal, d’ailleurs. Les Beatles ont fonctionné de 1962 à 1970. En 1971 sont arrivés d’autres groupes et ils ont été oubliés. On les a redécouverts à la fin des années 1990, mais il y a eu une période où c’était ringard d’aimer les Beatles. Les périodes de vaches maigres, où l’on n’est pas à la mode, sont normales. Et je m’en fous, mon but, ça a toujours été de faire de bonnes chansons, c’est tout.
Ce qui fait mal, c’est de ne pas être soutenu...Bien sûr. Quand " Voyager léger " est sorti, ils ont été étonnés des papiers que j’ai eus, genre quatre pages dans " Les Inrocks ". Il me prenait pour une sorte de Michel Delpech, un vieux machin momifié. Ils se sont rendu compte qu’il y avait encore une luminosité artistique derrière tout ça, mais ils m’ont juste payé gentiment deux concerts à Paris pour que la critique puisse venir me voir. C’était assez pathétique.
Vous avez été victime de la panique qui a poussé les maisons de disques à rompre nombre de contrats.
Ils ont de quoi paniquer, je les comprends ! Ils ont mis aussi toute une série de nouveaux artistes sur le marché. J’ai vu la nouvelle chanson française arriver, exploser et disparaître. Une myriade d’artistes qui se sont retrouvés avec un album à peine sorti qu’ils étaient remerciés, parce que le départ était un peu lent, parce que la critique était moyenne. C’est dur. Je suis assez endurant pour avoir envie de continuer, parce que j’aime mon boulot. C’est aussi bête que ça. J’ai eu la chance de faire un très bon début de carrière avec L’Affaire Louis’ Trio, mais qui est très daté XXe siècle. M’imposer, être le numéro un ne fait vraiment plus partie de mes priorités. Je veux juste être un artiste indépendant, qui crée ce qu’il a envie, pour un public pas forcément obsédé par des " blockbusters ". La création artistique ne passe pas que par les grosses machines. Les rois du marketing me font rigoler. Il y a toujours un moment où l’on se retrouve avec les intégrales de trop, des collections dont on ne sait plus quoi faire, parce qu’il n’y a plus rien à mettre dedans. Le commerce a ses limites, pas la création. On est juste filtré par une époque qui désire plutôt ceci que cela. Quand on me disait : " Tu vas pouvoir faire un duo avec un de la Star Ac’ ", c’était non merci.
Ça ne vous intéressait pas ?On ne m’a plus vu à la télé depuis dix ans, je ne vais pas me montrer à nouveau, vieillissant et malheureux, à côté d’un jeune crétin qui n’a rien compris et qui est là parce qu’on lui a dit : " Tu seras le meilleur. " C’est triste pour eux, pour moi. Le misérabilisme me déplaît. J’ai une anecdote : une de mes filles se pointe à la maison avec un magazine people à la couverture horrible, pleine de people en dégradé. Plutôt que de lui dire que c’était moche, je lui ai montré qu’il y avait déjà des choses de mauvais goût dans les années 1970. Je lui sors un " Podium ", la revue de Claude François. Je lui montre le lettrage merdique, le truc monté n’importe comment. La différence ? On ne parlait que des Français, qu’on magnifiait. Dans le récent, même maquette, même discours indigents, mais c’était Amy Winehouse en Corse, la fille d’Elvis qui mange un hamburger... Devenir célèbre aujourd’hui, c’est ça, un truc ridicule. C’est devenir une espèce de bête de foire. Pour moi, il y a une différence entre people et artiste. Je me sens plus proche d’un peintre, d’un écrivain, que d’un artiste de music-hall comme on le conçoit aujourd’hui.
C’est plus du marketing que de l’art...Britney Spears, Lady Gaga, même Madonna aujourd’hui, où sont les chansons en fait ? Comment un gamin peut-il s’identifier à des trucs sans mélodies, juste de la rythmique ? On ne fait pas du tout le même métier. Justin Bieber qui casse une guitare parce qu’on lui a demandé, c’est pathétique. Le monde de la bande dessinée, à côté, quel bol d’air frais ! Je n’y suis qu’un touriste, mais chaque fois que j’ai pu participer à un festival, j’ai pu constater la confraternité qui y règne. Ça me rappelle un peu les années 1980, quand on se retrouvait avec les Innocents, Niagara, Les Rita Mitsouko. On avait plus ou moins la même culture, les mêmes influences, les mêmes films de référence... Là, de la nouvelle génération, j’ai dit bonjour à certains, mais ils me semblent manquer terriblement d’humour et de voix, tous autant qu’ils sont. Je ne veux pas donner l’impression de mépriser mes contemporains, mais si je ne les trouve pas talentueux, je ne vais pas faire semblant.
Certains jeunes artistes vous plaisent quand même ?Sûrement ! Mais ceux qui m’intéressent sont des groupes comme Phénix, Ghinzu, qui chantent en anglais. La chanson française est un peu dans un cul de sac, et le retour de la nouvelle chanson française, à texte avec accordéon, pour moi, c’est la fin des haricots. Tout ce que j’avais combattu depuis les années 1970 m’est revenu en pleine figure. Après les faux chanteurs de la Star Ac’, on m’envoie une horde de nouveaux soixante-huitards intéressés que par leur nombril, habitant tous les Ve ou VIe arrondissements de Paris. Des fils de bourgeois. Vincent Delerm, tu passes une demi-heure avec lui, et tu as compris. C’est même pas la peine. Je ne trouve vraiment pas mon idéal dans ce qui se fait aujourd’hui.
C’est difficile de continuer à créer quand on est laissé sur le bord du chemin, que la dépression pointe ?Oui. Quand on est vraiment abandonné d’un point de vue logistique, on n’a plus beaucoup de chance de créer. Si je suis trop dans le rouge à la banque, je ne peux pas pondre la belle chanson qui va faire danser la France. Impossible. Il faut avoir la sensation que ce qu’on a créé a été bien reçu pour avoir envie de continuer. La fidélité du public, dont je peux lire les commentaires sur Internet, aussi peu nombreux qu’il soit, c’est ce qui me rend capable de continuer.
Ce qui vous a permis, cette fois, de rebondir, c’est aussi l’annonce d’un heureux événement...Oui, quand Gaëlle est arrivée avec le test de grossesse et m’a dit qu’on attendait un bébé, ça a changé la donne. On espérait depuis cinq, six ans que ça se produise, et ça se produisait au pire moment de ma vie. Je lui ai répondu : " Ho, merde ! " J’avais plus de boulot, j’étais sans le sou, elle travaillait au MacDonald’s du coin tant la situation financière était catastrophique... Mais cette nouvelle a fait que j’ai eu envie de m’accrocher. C’est tellement beau d’avoir un gosse.
La nouvelle était d’autant plus bonne que certaines tentatives avaient échoué, que votre femme avait connu des fausses couches. Vous évoquez avec pudeur ces petits " fantômes ". Elle n’avait pas de réticences à ce que vous en parliez ?Non, car elle savait que ce serait fait avec amour. C’était aussi une façon de rendre hommage à tous ces petits bébés coup d’essai qui n’ont pas existé et qui, mine de rien, nous ont blessés et nous ont renforcés. On aime d’autant plus notre petite Justine que ça a été difficile de l’avoir. Idem avec la plus grande, qui est née à sept mois. Pendant un mois et demi, elle a été entre la vie et la mort. Aujourd’hui, du haut de ses 23 ans, chaque fois que je la vois, j’ai l’impression de voir la vie en personne. Mes enfants, c’est le plus important pour moi. Après, si elles peuvent être fières de moi parce que je fais des choses qui leur plaisent, très bien.
Cet aspect autobiographique de vos albums BD vous poursuit...Oui ! Pour " J’ai réussi ", c’était une demande des frères Pasamonik (éditeurs de Magic Strip). Ils m’ont demandé ensuite de continuer sur le même filon pour un album que je voulais faire dans la collection " Atomium ". J’ai imaginé une aventure de L’Affaire Louis’ Trio, pour la circonstance devenu un groupe mondialement connu affrontant un méchant qui veut détruire la planète. C’était entre Tintin et Jean Valhardi, un truc un peu kitsch, un peu James Bond du pauvre, qui m’a vraiment amusé. Après, le groupe m’a pris tellement de temps que s’est tombé à l’eau. Vincent, mon frère, et François Lebleu, du groupe, me disaient, et ils avaient raison, que la BD, ça va bien, mais que je ne pouvais pas continuer à faire un petit peu des deux. Je devais me consacrer à la musique. C’est déjà si rare pour un groupe de s’en sortir sur un, deux, trois albums.
Par contre, beaucoup d’artistes de bande dessinée font de la musique...Oui, et j’ai joué avec beaucoup, avec Yvan Delporte, le Marcinelle All Stars Band. Chanter avec le gars qui avait fait " Le Trombone illustré ", wouah... Quel personnage !
Continuons à parler de personnage… Vous en voulez toujours à Benjamin Biolay, que vous égratignez dans la BD ? (Associé au départ à « La maison de pain d’épice », l’auteur de « La superbe » a cessé la collaboration sans explication.)Non… Maintenant, c’est lui qui m’en veut ! (Rires.) C’est sûr que sur le coup, j’étais en colère. J’ai préféré dessiné le chapitre qui lui était consacré, genre un mois après qu’il m’a lâché, pour qu’il y ait encore une violence réelle dans ma façon de l’écrire. Si j’avais laissé passer six mois, j’aurais pu être plus conciliant, me dire que c’était quand même un bon pote… Je me suis dit : « Non, il faut que je sois honnête avec l’histoire de ce disque. » Ça a été une grosse cassure, mais un choc dans une création artistique, ce n’est pas forcément mauvais, ça peut être porteur. Je ne désespère jamais, mais je déteste qu’on me fasse faux bond, qu’on me trahisse.
Vous avez pu en parler avec lui depuis ?Oui, il a vu l’album. Pour être honnête, il n’était pas très content. Mais en ce moment, je crois qu’il n’est content de rien. Il est furieux contre tout et tout le monde. Je ne fais qu’en rajouter un peu. J’espère que ça va s’arranger, qu’il va retrouver de la sérénité. Je sais trop bien pour l’avoir vécu qu’un succès de longue haleine, après avoir été durant des années à travailler comme un forcené, finit par vous perdre. La réalité de ce qu’on est au fond de soi disparaît au profit des conneries environnantes. Benjamin a eu le culot de monter à Paris, de devenir le gars indispensable alors qu’il vient de Villefranche-sur-Saône. Je suis admiratif de son parcours, moi qui n’ai jamais voulu vivre à Paris, me mélanger. Peut-être par peur, peut-être par goût de l’indépendance. Lui y a été à fond. A un moment, arrivé au sommet, il est aussi crevé. Pour moi, le pire moment de ma vie, c’est quand j’ai eu un vrai grand succès. J’avais 24 ans, déçu par ce que ça représentait, je ne voyais pas ce que j’allais faire après... Et j’ai eu de la chance que ça arrive progressivement, par un concours, que le premier single ait un succès d’estime, que le second marche un peu mieux. Il y avait une logique possible à l’époque. Maintenant, si on ne fait pas un carton dès le premier coup, on dégage.
De ce point de vue, musique et bande dessinée se rejoignent aujourd’hui.On leur en laisse encore deux à trois... Mais c’est vrai, il n’y a plus la prépublication, qui permettait de tester un personnage ou un dessinateur. Il faut être d’emblée au top, publiable en album.
Vous rendez hommage à Akim, un ersatz de Tarzan...Je suis plus un vrai fan de Tarzan, mais la Rice Burroughs Incorporation supporte mal qu’on dessine son héros sans la payer. Alors je me suis servi d’Akim, le Tarzan du pauvre. Cette série a eu un succès incroyable. Elle tirait à 250 000 exemplaires par mois, de la fin des années 1950 aux années 1980, ça a été des grosses machines, mais dans un milieu très populaire. Enfant, comme mon père avait la chance de trouver du boulot un peu partout, on déménageait souvent. J’ai vécu à la campagne, dans des cités minières, ouvrières. J’y ai découvert cette culture, dans laquelle les enfants d’immigrés apprenaient à lire. Des magazines un peu simplets mais pleins de bons sentiments.
La figurine sur la pochette, c’est vraiment vous ?Oui ! Mégalo jusqu’au bout ! (Rires.) Elle vient des USA. En fait, comme je suis un collectionneur de stupidités ayant trait à Tarzan, par exemple, je chine sur Internet. J’ai une collection invraisemblable de toutes sortes de choses, y compris les figurines les plus affreuses, ce qui fait bien rire mes filles. Et j’en vois une d’une laideur incroyable. Là, je sens l’arnaque. La tête du Tarzan, on aurait dit un Mexicain. C’était vendu presque artisanalement. C’était en fait une petite boîte à Los Angeles faisant des poupées à l’effigie des vedettes du moment. On pouvait leur commander sa propre tête. Je n’ai pas hésité ! C’était une façon rigolote d’éviter une séance photo.
Propos recueillis par Jean-Jacques Lecocq
http://www.rtl.be/people/people/news/10903/hubert-mounier-le-commerce-a-ses-limites-pas-la-cr-ation-