l'intégralité de l'interview de start up :
Parce que le print oblige toujours - faute de place - à faire des coupes et à sabrer des informations ou anecdotes qu’on aurait bien aimé partager, voici l’interview in extenso de Benjamin Biolay. Cette rencontre (la troisième après A l’Origine puis La Superbe) a eu lieu dans le cadre sans chichis d’un bureau de sa maison de disques, Naïve. Pas franchement ponctuel, mais généreux et souriant en interview, jamais à cours de bons mots et punchlines, voici B.B. sans coupe et sans retouches, ou presque.
Comment avez-vous travaillé après La Superbe qui était un album (double) très complet, très abouti et unanimement salué ?Si on m’avait dit au bout de huit mois : « Allez pépère tu vas en studio », j’aurais complètement paniqué. Mais je n’ai pas vraiment enchaîné. J’ai fait plein d’autres trucs, j’ai réalisé ce nouvel album de manière très morcelée : j’avais une idée, j’allais en studio, je passais à autre chose, je tournais des films… A la toute fin, j’ai récupéré toutes mes chansons, et je suis allé les trier à Bruxelles dans le grand studio où j’ai mes habitudes. L’idée était de faire un disque moins solo, d’inviter non seulement des chanteurs, mais aussi des musiciens, d’un autre univers : il y a le batteur d’Amy Winehouse et Clément Dumoulin d’Animalsons, le mec qui fait les sons de Booba ou de La Fouine.
N’aviez-vous pas le sentiment d’avoir tout dit sur La Superbe ? Ah non pas du tout. J’avais l’impression au contraire d’avoir fait la synthèse de ce que j’avais fait – peut-être maladroitement – dans les albums précédents, mais en plus abouti, plus assumé vocalement, mieux produit. Je n’avais pas « tout dit ». Là non plus, d’ailleurs.
Aviez-vous une idée directrice pour Vengeance ?Je voulais qu’on puisse danser un peu, qu’on puisse bouger, qu’on puisse bouger la tête, qu’on puisse l’écouter en voiture. Que ce soit hypnotique. J’avais envie qu’il y ait 50, 60 ans de musique en un disque, en toute modestie. De passer de la Tamla (Motown, ndlr), à la dance, à la soul, au hip-hop, au trip-hop… Sur « Le Sommeil Attendra », par exemple, le refrain est typique de Tamla. C’est le batteur d’Amy qui tape, c’est vraiment son style. Mais avec une voix blanche, donc ça ressemble à ce que les Anglais appellent la Northern Soul qu’a popularisée Paul Weller, par exemple.
Avez-vous l’impression d’avoir progressé ?Je trouve que le moment où on se dit « je progresse plus » il faut raccrocher les gants et rentrer à la maison.
Vous avez failli arrêter avant La Superbe ?Oui, ce n’est pas que ça ne marchait pas, tous mes albums sont disque d’or sauf un. Donc franchement, il y a des gens qui ont plus de matière à se plaindre que moi. J’ai toujours pu payer mon loyer et nourrir mes enfants. Mais ça me gonflait d’être toujours attendu par les snipers, que ça soit toujours le ball-trap : dès que j’arrivais « Pool ! Il est con, il est moche, il est prétentieux, il a les cheveux gras, il sait pas chanter ! » Ouais j’étais agacé. Parce que je suis quelqu’un d’absolument normal, donc pas spécialement prétentieux, j’ai pas spécialement les cheveux gras… j’en avais marre, marre, marre…
Vos albums sont très bien reçus, aujourd’hui…Maintenant y a les pour et y a les contre. Les pour on les entend, ce n’est plus la majorité silencieuse. Je les entends, et ils me le font savoir, qu’il ne faut pas lâcher, mais on m’attend toujours au tournant.
Quel est le plus beau compliment qu’on ait fait sur votre musique ?C’est : « on a fait un enfant sur votre chanson ». En l’occurrence, « Dans la Merco Benz » c’est une petite chansonnette mais les gens l’ont mise en boucle, jusqu’à ce que ça soit fécondé (rires). Ça fait plaisir, surtout quand on vous présente l’enfant ! Quand on voit un petit bout de chou, c’est émouvant. C’est pas de savoir qu’ils ont niqué, mais de savoir qu’ils ont fait un enfant. Je me doute bien que les gens niquent, en général, sur la musique. Mais là ce n’était pas des personnes impudiques, ils ont mis dix minutes à oser me l’avouer !
Pour en revenir au disque, comment avez-vous choisi les artistes ?
La plupart sont des amis. Le seul que je connaissais pas bien mais que j’admirais beaucoup, c’est Orelsan.Et ils m’ont vraiment tous impressionné. Avec elle (désignant un livre consacré à Vanessa Paradis, ndlr), ça s’est fait en une minute et c’était parfait, mais j’ai l’habitude car je produis son album ! Carl (Barât, ndlr) m’a épaté, Franck Tontoh le batteur d’Amy m’a épaté par son exigence. Il aurait pu faire le rosbeef superstar qui vient juste taper. Julia Stone est une sirène… Orel (Orelsan, ndlr) je lui ai demandé un truc tout simple. Je lui ai dit : « moi je vais être très gentil, très clinique dans ma description, vraiment genre le Paulo Coelho du pauvre – c’est un pléonasme – (rires) et toi t’es la méchante créature qui vomit la haine. » Et il l’a fait trop bien ! Je l’ai rarement entendu aussi agressif ! Parce qu’en fait c’est quelqu’un de très doux, de très gentil, qui n’a aucune colère en lui, aucune violence.
De quoi parle la chanson avec Carl Barât ?Je t’explique que la vengeance c’est un plat qui n’a aucun goût en vérité, et que c’est vraiment pour les sous-hommes, les sous-merdes, que c’est une perte de temps. Et que ma vengeance – Carl est d’accord avec moi – c’est de vivre au soleil avec la femme qu’on aime, ses enfants, sans l’ombre d’une emmerde. C’est la plus belle vengeance. Les Anglais ont l’expression « sweet revenge » qui est très jolie, qui n’existe pas en français.
Vengeance, c’est un prétexte ?C’est un pied-de-nez. C’est tout sauf une vengeance, j’ai aucune raison de me venger de qui que ce soit. Et en plus c’est une chose à laquelle je ne crois pas. Mais je trouvais ça drôle, je voyais un V entre victoire et vengeance… Quand la maison de disque m’a dit « Il va s’appeler comme l’album ? » J’ai dit « Oh… je pense à Vengeance » et j’ai vu une série d’A.V.C. ! (rires) Là je me suis dit que c’est comme les parents, faut pas que ça leur plaise. C’était ma théorie quand j’étais plus jeune et que je retournais parfois chez mes parents leur faire écouter les disques. Quand ils me disaient : « c’est joli ça » je me disais : « putain mais j’écris pour les grabataires ou quoi ?! » Ils adoraient mon premier album, du coup j’étais fou de rage ! Et je l’aimais plus du tout avant qu’il sorte.
Et les suivants ils aimaient moins ?Oui ils ont commencé à moins aimer, il y avait des gros mots…
Vous aimez bien mélanger les mots désuets et des gros mots…Oui, parce que j’ai écouté beaucoup de rap. Et le rap, ce sont des punchlines et du langage parlé. Désuets ?
Oui : « gageons », « fais-moi l’insigne honneur »… Ça, c’est mon obsession pour Morrissey. Même s’il écrit parfois des textes d’une tristesse abominable, c’était toujours impeccable.
Vous aimez Morrissey ? Beaucoup. J’ai appris plein de mots grâce à lui. Je parle bien anglais, mais même maintenant, quand il sort un album, il y a toujours des moments où je suis obligé d’aller voir dans le dictionnaire pour comprendre ce qu’il est en train de dire.
Qu’est-ce qui vous amuse le plus aujourd’hui dans la musique ?Les rencontres, la scène, bouger la tête, danser… (rires) C’est vrai ! Je commence à être à peu près le même musicien sur scène qu’en studio. Parce qu’en studio j’ai toujours été très extraverti, pas du tout comme on pouvait l’imaginer. Au début, j’étais pétrifié d’angoisse à l’idée de monter sur scène, et maintenant c’est un vrai plaisir. Jouer avec les autres c’est ce qui m’amuse le plus. Et quand je suis chez moi et que j’ai l’impression d’avoir pondu une chanson correcte, évidemment c’est un petit moment un peu jouissif. Mais je me méfie toujours du lendemain matin ! En me disant « On verra demain matin comment ça sonne… légèrement plus à jeun, voire totalement à jeun ! »
Vous vous trouvez meilleur compositeur ou meilleur auteur ?
Je suis meilleur auteur en fait. Personne ne le sait mais je suis bien plus doué pour les mots, parce que je n’ai jamais appris, contrairement à la musique…
Parce que tout le monde loue la production et les arrangements de vos chansons…C’est vrai que ça impacte, parce que je mets la dose, et que j’ai aujourd’hui un certain savoir-faire. J’ai bossé comme un fou furieux. Mais je galère vraiment sur les textes, parce que j’ai pas envie de raconter des bêtises, et que je n’ai pas envie de me répéter. Mais je n’ai pas besoin d’un dictionnaire des rimes, par exemple. J’ai ce sens depuis que je suis petit. Je n’étais pas bon en français, mais petit, j’écrivais beaucoup de poèmes que je ne montrais jamais à personne, naturellement. Cétait adolescent, mais j’ai toujours adoré les mots. Quand je dis que je suis doué pour ça, je ne veux pas dire que je suis un grand auteur, mais je suis un bon parolier.
Quelle est la chanson dont vous êtes le plus fier ?Elle est pas encore sortie !
Et la chanson que vous auriez aimé faire ?J’aurais rêvé d’écrire « Avec le temps » et « Marcia Baila ». Ou alors « Andy », ou un truc des Mitsouko qui déboîte… « Revoir Paris » de Charles Trenet, « Manon » de Serge Gainsbourg, qui est un chef d’œuvre absolu, c’est une pièce musicale extraordinaire, d’une complexité de fou. Je parlais en français, parce qu’en anglais il y aurait l’intégralité de l’Album Blanc (des Beatles, ndlr).
La dernière fois, on avait parlé de Buenos Aires. Vous y retournez ?Bien sûr ! J’y ai même fait un film. Et je vais y aller en décembre, là-bas c’est l’été, un peu à Buenos Aires, et puis un peu en Uruguay.
Vous finirez vos vieux jours là-bas ?Oui, c’est certain. C’est bizarre de rencontrer une ville comme on rencontre une femme. A Buenos Aires, j’ai l’impression d’être vraiment chez moi. J’aime la culture familiale, la place de l’enfant dans le foyer argentin. C’est pas l’enfant roi mais c’est quand même l’enfant central. Par exemple, si au milieu d’une discussion entre adultes un enfant t’interpelle, ça va pas être « Nan nan, laisse moi finir », mais plutôt « Oui mon chéri, qu’est-ce que tu veux ? » L’enfant, c’est l’avenir. Et il y a un humour et des rapports sociaux qui sont aux antipodes de la vie parisienne. Quand on hèle un taxi dans la rue, on dit « hey maestro, t’es libre ? » « ouais, monte ! » C’est pas du tout comme ici « Ouais. Vous allez où ? » (rires) Et la nourriture, tout. J’aime tout !
Vous avez un public en Amérique du Sud ?Enorme !
Comme Morrissey !Oui, d’ailleurs ils me comparent à lui. Pour eux, je suis le Moz français. Avant que La Superbe marche, je faisais quand même déjà 6000 entrées payantes à Buenos Aires alors que je n’en faisais que 2000 à Paris. Dans la rue ils m’interpellent : « Hey, Benjamin! » Sur Home, l’album avec Chiara, il y a une chanson qui s’appelait « La Ballade du mois de juin » et qui a été un tube invraisemblable là-bas. Quand j’y vais, quand je la chante, j’entends 6000 personnes qui chantent dans une espèce de yaourt français ! La première fois, je m’attendais à jouer devant vingt expatriés mais je m’en foutais, je voulais voir l’Argentine depuis tout petit. J’ai joué cette chanson, et le lendemain c’était sur Youtube. J’ai envoyé le lien à Chiara qui n’en revenait pas…
Quel film tournez-vous là-bas ?Ça s’appelle Mariage à Mendoza. C’est une comédie avec Nicolas Duvauchelle, Phillippe Rebbot et des acteurs argentins. C’est trois branleurs, un genre de Very Bad Trip en Argentine, mais ça va être très bien. Et puis c’est bien parce qu’on a tourné dans une ville dans laquelle je n’étais jamais allé qui s’appelle Salta, qui est très proche du Pérou. Donc t’as une toute autre mentalité. J’ai autant aimé, mais c’est plus l’Argentine vraiment roots, parce que Buenos Aires c’est à la fois loin et près de l’Europe. Y a des quartiers Haussmanniens dans Buenos Aires. Salta c’est des petites maisons, ils ont tous des nuques longues et des maillots de Maradona ou Messi et des tongs. Y a pas de chichi, à l’heure de la messe il y a la ville entière qui va à la messe.
En parlant de football, est-ce vrai que vous êtes devenu actionnaire du club de Villefranche ?Oui, c’était mon club. Et puis j’ai connu un petit peu l’âge d’or, puis j’aimerais bien que ça change un peu. On est en CFA et il faut qu’on monte… C’est l’objectif… C’est pour ça que j’ai investi, aussi, pour acheter quelques joueurs. L’idée c’est qu’on soit en National que l’Olympique Lyonnais nous prête les jeunes, ce qui sera très pratique pour eux, ils les auront sous la main, ils pourront les former eux-mêmes. Je pense qu’une ville a besoin soit de culture soit de sport… Et ma ville, dont je dis tant de mal, en réalité je l’aime un peu et j’ai envie qu’il s’y passe quelque chose. C’est devenu une ville dortoir, c’est normal les loyers sont beaucoup moins chers qu’à Lyon, mais c’est à 20 bornes en voiture donc tout le monde vit à Villefranche. Si un club de foot marche, ça peut créer un lien social, c’est bien.
Vous étiez très engagé au côté de François Hollande dans la campagne présidentielle. Vous ne craignez pas de devenir l’ « Artiste officiel » ?Pendant la campagne, ça m’est retombé dessus. Je me suis fait insulter dans la rue d’une manière incroyable. J’habite pas très loin de la faculté d’Assas, donc j’en ai pris plein la gueule, y compris devant ma fille. Ça allait de « sale Juif » à « sale Rouge » ou je sais pas quoi… Comme si le quartier était à eux, comme si les gens qui sont nés pauvres, et qui ont un peu réussi dans la vie – en plus je suis pas propriétaire, je suis locataire – n’avaient pas le droit de vivre là. Mais je n’ai aucune raison d’avoir peur de quoi que ce soit, c’est un engagement militant depuis que j’ai dix-sept ans ou moins. Et puis on m’a vu dans les meetings, mais la fonction, c’était au sein du pôle culturel animé par Aurélie Filippetti et Olivier Faure, de faire en sorte que les gens se rencontrent.
Si on vous confiait une mission, vous accepteriez ?Oui, mais je suis pas très corporatiste ! C’est la vérité, les enjeux de la campagne étaient pour moi tout sauf culturels. Quand on parlait de l’Hadopi je disais que j’en avais strictement rien à foutre. Mais si on me confiait une mission sur quelque chose que je connais très bien comme les conservatoires de musique, bien sûr. Ça doit être passionnant. Et puis c’est fou ce dont j’ai été témoin, parce qu’on a vécu six tours : deux tours de primaires, deux tours de présidentielles, deux tours de législatives, c’était éreintant, c’était six victoires !
Vous l’avez soutenu dès le départ ?Oui, je suis un des premiers Hollandais historiques (rires). Pourquoi ? Parce que je l’ai rencontré, c’est tout bête. Je l’aimais bien quand il était Premier Secrétaire. C’est quelqu’un que j’apprécie. Dans la vie, il est très sûr de son destin. J’avais fait la quatrième de Libé et on m’avait demandé qui était la personnalité du PS qui m’intéressait le plus et à laquelle je croyais le plus et j’avais dit « François Hollande ». Et je pense qu’il l’avait lu, qu’il avait été touché et il s’est trouvé qu’il aimait beaucoup La Superbe. Dessus il y a une chanson « Ton Héritage » qu’il m’avait invité à chanter dans une émission. Dans la loge de maquillage, il m’a dit : « Je vais me présenter ». Donc je lui ai dit : « je vais vous soutenir ». Et il m’a dit : « Je vais être élu ». Raison de plus pour que je le soutienne, alors ! Il était sûr de son coup ce soir-là. Il était au taquet dans les sondages. Et il a vraiment dit : « Je vais être élu ». J’aime bien les gens qui se réveillent un matin et qui se disent « Tiens ! ». Pendant des années, tout le monde se foutait de sa gueule. Mais quand on ne connaît pas les gens, on retient l’image médiatique.
Vous avez dû vous retrouver dans ce divorce entre l’image et la réalité…Lui, c’était un autre cas de figure : il était écrasé par son couple. Ecrasé vu de l’extérieur, mais pas dans la réalité…
http://startupmagazine.fr/post/34562682753/benjamin-biolay-interview-vengeance