Benjamin Biolay: "En studio, Judith Godrèche était dans son élément"
Par Paola Genone (L'Express), publié le 25/03/2010
Il ne s'est pas contenté de signer les arrangements du premier album de Judith Godrèche, Toutes les filles pleurent. Pour la comédienne-réalisatrice, Benjamin Biolay a aussi composé trois chansons dont un duo à bout de souffle qu'il interprète avec elle. Il raconte cette aventure musicale: la rencontre, l'inspiration, les séances d'enregistrement... Mais aussi son travail d'arrangeur sur des magnifiques ballades composées pour Judith Godrèche par d'autres chanteurs compositeurs anglo-saxons rock et folk comme Piers Faccini, Pete Yorn - avec qui Scarlett Johansson a fait le disque Break Up – ou Bonnie Prince Billie...
Judith Godrèche a dit: "J'ai pensé à Benjamin Biolay pour la chanson titre Toutes les filles pleurent et pour qu'il apporte sa touche à ce disque en général. Je trouvais qu'avec sa gravité romanesque, son écriture précise, tenue et puissante, il saurait..." De votre côté, comment s'est faite cette rencontre artistique?
Il y a un an, Judith m'a contacté pour me confier un projet musical qui lui tenait beaucoup à coeur. Elle venait de terminer la réalisation de Toutes les fillespleurent et souhaitait faire un album inspiré de son film et du personnage principal, une chanteuse [interprétée par Godrèche]. L'idée de composer des chansons pour une actrice ne m'intéressait vraiment pas. Et puis Judith - que je n'avais jamais rencontré auparavant – m'a montré son long-métrage. Je l'ai trouvé très touchant, troublant. J'ai été emporté par ses ambiances, ses personnages, ce monde qui vacille entre hyperréalisme et féerie. J'ai eu envie de prolonger l'aventure du film en musique, avec les émotions qu'il m'a procuré.
Qu'est ce qui vous a charmé dans sa façon de chanter?
Je n'ai pas été fasciné par la voix de l'actrice Judith Godrèche, mais par celle de Lucie, le personnage du film. Quand j'ai composé ces chansons, je pensais à cette fille à fleur de peau, un peu déséquilibrée... J'avais envie qu'elle pose sa voix sur mes mots. Tout le disque s'est fait comme cela, comme si le personnage continuait à vivre à travers le son. Judith a un grain de voix très enveloppant, mais je n'aime pas décortiquer le son, la musique. Je ne peux pas décrire sa voix. Pour moi, c'est une émotion.
Mais si vous deviez juste parler des images que sa voix évoque chez vous, sans analyser...
Le souffle de la trompette de Chet Baker, le toucher du velours, le son monocorde de Nico derrière un micro, Blondie chantant avec un genou égratigné, les lucioles...
Comment sont nées les paroles de Toutes les filles pleurent, Je ne rentrerai pas ce soir et Longtemps, les chansons que vous avez composé pour cet album?
J'écrivais en regardant en boucle les images du film. J'ai aussi beaucoup parlé avec Judith... j'ai retenu des bribes de ses phrases, des mots, la cadence de sa voix.
Et la musique?
J'ai tout composé sur une guitare acoustique, ce que je ne faisais plus depuis très longtemps. Maintenant j'utilise les claviers pour transposer une idée musicale. Mais ce personnage, qui se balade avec sa guitare, a quelque chose de très folk. Lucie appelle une musique intime, des ballades introspectives, un peu rêveuse, impalpables et denses.
Vous avez aussi arrangé des compositions originales d'auteurs compositeurs anglo-saxons qui se sont prêtés au même jeu que vous: écrire des chansons pour Judith Godrèche ou ... Lucie.
Judith a eu l'idée de demander à six chanteurs compositeurs formidables de composer d'autres morceaux: Piers Faccini, Mary Gauthier, une chanteuse folk américaine, ou Bonnie Prince Billie un des auteurs les plus originaux des Etats-Unis, entre le hillbilly et la folk mélancolique... Ils ont tous réagi comme moi: les images du film les ont inspirés et nous avons fait une "post BO", un film sans images! Ils ont envoyé de très belles maquettes. Judith a fait le reste: j'étais très étonné de l'entendre chanter en anglais. Elle le fait avec une aisance extraordinaire et, en même temps, elle a un petit accent français qui lui confère un vrai charme. Mon travail était de trouver un fil rouge, des arrangements qui relient ces morceaux, de donner une harmonie générale au disque.
Comment était Judith en studio, lors de l'enregistrement?
Dans son élément, pas du tout intimidée. Comme si elle avait toujours fait ça. Elle avait pris des cours de chant, mais je ne crois pas que son assurance venait de ça. Elle le désirait et elle a un talent d'interprète, c'est tout. Nous avons voulu enregistrer dans l'urgence, en une semaine, pour garder une spontanéité, éviter de faire trop de prises. J'étais au piano et à la guitare. Et j'ai appelé trois musiciens avec qui j'ai l'habitude de travailler: Denis Benarroch - batterie et percussions -, Nicolas Fizzman – basse et guitare – et Marc Chouarain qui joue du saxophone et du thérémine (instrument électronique) sur Toutes les filles pleurent. Nous avons repris tous les morceaux avec Judith, sauf ceux de Julien Doré, qui sont aussi dans le film et qu'il a arrangé lui-même. Je suis très fier du résultat. C'est un album que j'ai envie d'écouter au réveil, ce qui est un bon signe pour moi.
Allez-vous chanter avec elle sur scène?
Pourquoi pas? J'aime chanter en duo, j'aime sa voix, j'aime sa musicalité et sa façon de se jeter à l'eau.
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