interview intéressante :
Benjamin Biolay est à l'affiche d’“Irréprochable”, premier film de Sébastien Marnier, avec Marina Foïs en troublante héroïne. Le musicien, qui a déjà joué dans une vingtaine de films ou téléfilms, nous accorde un entretien pour évoquer sa relation passionnée au cinéma.
L'entretien a été réalisé en deux fois. D'abord, pendant quinze minutes, pour le traditionnel exercice de promotion du thriller Irréprochable, dans lequel il joue l'amant de Marina Foïs. Et le lendemain pendant près d'une heure dans les Studios de la Seine, dans le 12e arrondissement de Paris, où il produit le nouvel album d'Isabelle Boulay.
De sa voix grave, posée, parfois entrecoupée de longs silences, il évoque ses premiers souvenirs cinéphiles, sa passion pour Jean Gabin, son admiration pour Jacques Dutronc ou la musique des films de Tim Burton.
Cet été, il ne fera pas la tournée des festivals avec son nouvel album, Palermo Hollywood, mais restera à Paris sur le tournage du nouveau film d'Emmanuel Finkiel, avec Mélanie Thierry dans le rôle de Marguerite Duras. Son vingtième rôle, déjà, dans un film ou un téléfilm, depuis ses débuts comme acteur, il y a dix ans avec la réalisatrice Sylvie Verheyde. Avant de retrouver la salle Pleyel pour une série de trois concerts exceptionnels, fin septembre à Paris.
Quel regard portez-vous sur votre métier d'acteur, sur votre carrière au cinéma ?C'est encore trop frais pour avoir du recul. Aujourd'hui, je me dis avant tout musicien, ou plutôt, auteur-compositeur… mais jamais chanteur, et encore moins acteur. D'ailleurs, je ne considère pas non plus la musique en terme de carrière. C'est un mot qui me fait un drôle d’effet, qui me raidit toujours un peu.
Le cinéma me permet de vivre des expériences différentes. J'ai envie d’apprendre chaque jour, et non pas d’être dans la plénitude. J’espère juste, à la fin de ma vie d’artiste, avoir une belle filmographie et une belle discographie.
Que pensez-vous de Gilles, le personnage que vous incarnez dans Irréprochable ?C’est un homme qui est loin de tout ce que je suis, de tout ce que je connais, de tout ce que j’ai été, et c’est ce que je trouve extraordinaire dans le cinéma : ça éloigne tellement de soi que c’est quelque part assez libérateur, assez radical. Gilles, c'est un comptable, qui habite dans le 16e arrondissement de Paris, qui est blindé, qui a des polos Lacoste, qui normalement ne serait pas mon copain, si j’étais seulement dans les clichés. Mais c'est un personnage très humain, avec beaucoup d'aspérités.
Portez-vous un jugement sur les personnages que vous interprétez ?Non, mais j’ai des limites. On m’a déjà proposé le rôle d’un personnage qui battait ses enfants, et ça, je n’ai pas pu. Mais il y a des rôles que j’aurais aimé faire vivre plus longtemps, comme par exemple, dans le film de Joann Sfar, La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil, un film très étrange. J'aurais aimé creuser mon personnage, un personnage très intéressant. Il m’est resté longtemps cette image du couple que j'incarnais avec Stacy Martin, qui n'a finalement pas été développé, qui sentait pourtant le sulfure à plein nez.
Parmi tous vos rôles, lequel vous a le plus marqué ?Ma collaboration avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, dans Au bout du conte. Travailler avec Jean-Pierre m’a fait réaliser plein de choses. Ce personnage m'a énormément marqué parce que ses textes sont écrits par Bacri, qui m’a montré comment faire, sans pour autant me demander de l'imiter. Il m’a beaucoup appris, en étant beaucoup plus subtil que quelqu’un qui vous dirige simplement. Il m’a fait me sentir comme un musicien. C'était comme quand vous jouez avec quelqu’un d’autre, vous vous mettez au diapason, et vous ne savez pas pourquoi ça marche si bien, pourquoi c’est si intéressant, mais ça fait soudainement quelque chose de fort. Il y a eu un avant et un après Bacri pour moi, ne serait-ce que dans la façon de penser certaines répliques. J'étais très impressionné par lui, et il a toujours été très sympathique avec moi.
Je le connaissais un tout petit peu avant de travailler avec lui, j’étais très fan. C’est quelqu’un d’une grande pudeur, et moi aussi, mais je peux dire que je l'aime énormément.
A votre avis, pourquoi autant de musiciens deviennent acteurs, et inversement ?Ce sont des métiers très complémentaires, d’ailleurs dans les grandes écoles de théâtre américaines, on apprend les deux métiers. Ils font partie de la même envie de s’évader, de se construire, de pouvoir faire des choses qui ne sont pas données à tout le monde mais qui nécessitent énormément de boulot. Ça ne sort pas comme ça.
Moi, mon école s’appelle Sylvie Verheyde. C’est elle qui m’a proposé en premier de me faire travailler. Elle a vu deux interviews radicalement différentes de moi, notamment chez Ardisson où j’avais l’air d’un premier de la classe, je voulais pas d’emmerdes, et dans une autre émission où j’étais beaucoup plus mal luné… Et c’est là qu’elle a vu le personnage qu’elle voulait pour un film qui ne s’est au final jamais fait. Puis, elle a demandé que je joue son père dans Stella [film pour lequel il est nommé en 2009 au césar du meilleur acteur dans un second rôle].
Selon vous, qui a eu une réussite exemplaire dans les deux domaines ?[Sans hésiter] En France, il y a Jacques Dutronc. C’est bien sûr un modèle, on ne se construit que par les autres. C'est un personnage mystérieux. Il est admirable dans les Lelouch du début, mais aussi dans les Chabrol, et bien sûr, dans Van Gogh, de Pialat, ou Mes nuits sont plus belles que vos jours, de Zulawski.
Alain Souchon aurait pu être un immense acteur, mais il n’a pas eu envie de continuer. Il aurait pu faire une carrière brillante, il est complet. Je le trouve merveilleux dans ses films, notamment L’Eté meurtrier, de Jean Becker, mais aussi dans Je vous aime, de Claude Berri.
Allez-vous voir les films en salle ?Je n’y vais pas assez, mais je vois encore plus de films qu'à ’époque où j’y allais souvent. Je vois beaucoup de films chez moi, je suis abonné à Netflix, Canal+, à des chaînes cinéma… au moins un par jour. Je suis très bon public, pas dans le sens où je n’aime que les comédies populaires, mais je peux enchaîner « Camping 12 » et un film de Lisandro Alonso. Mais promis, « Camping 12 », j'irai le voir en salle.
Quels sont vos cinéastes de chevets ?Il y a des cinéastes dont je mange tout : Kubrick, Truffaut, Wes Anderson, David Fincher et Woody Allen. Woody Allen, j'ai tout vu jusqu'aux années 2000, et j'ai un peu décroché ensuite. C’est sur Celebrity que j’ai senti le petit décrochage en moi. Je préfère ses petits films comme Coups de feu sur Broadway, genre de films qu’il fait vite juste parce qu’il a une idée drôle, et ça passe. C’est un génie.
Je suis aussi le travail de Tarantino, Scorsese, Coppola aussi, bien sûr. En France, j'admire Desplechin, je vais voir ses films quoi qu’il arrive, mais aussi Claire Denis ou Jacques Doillon.
Vous avez réalisé plusieurs bandes originales de films, dont celle de L'Homme qu’on aimait trop, d'André Téchiné, comment avez-vous travaillé avec lui ?
Il avait quelque chose de très précis en tête, un cahier des charges à respecter. Je devais vraiment accomplir un travail de technicien, qui m’a plu, mais qui ne m’a pas procuré autant de plaisir que la réalisation d'un album. André Téchiné est un cinéaste qui a l'habitude de faire ses films avec une certaine technique. Je pense que Philippe Sarde est toujours d'accord pour faire ce qu’il lui dit, parce que c’est son métier, mais ce n'est pas le mien. J'adorerais faire une bande originale de façon totalement libre. Rencontrer un réalisateur qui me dirait « Fais ce que tu veux ». J’aimerais travailler comme Gustavo Santaolalla : quand il travaille avec Iñárritu, Wong Kar-wai ou Walter Salles, il fait ce qu’il veut. Il participe à la création du film, il l’accompagne complètement.
Compositeur de musique de film, c’est un vrai métier qui nécessite une vraie technicité. Dans l’absolu, un vrai compositeur de BO a du matériel chez lui, un écran géant, et il peut jouer avec l’image. C’est un métier que je connais de manière complètement empirique, et j’avoue ne pas y être très bon. Mais maintenant, je me sentirais prêt à travailler librement sur une bande originale.
Quels compositeurs de musiques de films admirez-vous ? Il y a en a certains qui sont extrêmement expressifs, qui prennent une place folle, qui sont en totale symbiose avec leur réalisateur. Je pense immédiatement à Danny Elfman et John Williams. Eux, ça rigole pas. Ils imaginent des thèmes que l'on peut fredonner après. Ils travaillent en général sur des œuvres qui sont esthétiquement très belles, qui font voyager. Un film de Burton sans la musique d’Elfman, ce n'est pas pareil. Il a une place énorme et justifiée dans les films de Burton. C'est pareil pour Hitchcock et Bernard Hermann. Sans lui, je trouve ça horrible.
J’ai remarqué aussi que David Fincher est en train de construire une relation privilégiée avec Trent Reznor de Nine Inch Nail, qui a fait un incroyable générique pour Millenium. Je suis fan de ce qu’a fait Maurice Jarre aussi.
Quelle BO surpasse les autres ?La BO du siècle pour moi, c’est celle de 2001, l'Odyssée de l'espace. Ainsi parlait Zarathoustra, de Richard Strauss, dans le film, c'est absolument incroyable.
Le film qui a marqué votre vie, que vous avez le plus vu, le plus fait découvrir ?Johnny s'en va-t-en guerre de Dalton Trumbo. J’ai beaucoup offert ce film. C’est un chef-d'œuvre absolu, et quand on n’a pas vu ça, c’est comme quand on n’a pas vu Shoah, on n’a pas vu l’humanité. C’est un film qui m'a bouleversé, qui m’a fait littéralement vomir, comme Shoah et comme Freaks, la Monstrueuse Parade, que j’ai vu trop jeune. La première fois que j'ai vu Johnny s’en va-t-en guerre, j’étais à ramasser à la petite cuillère.
Je l’ai découvert au ciné-club du conservatoire à Lyon, où je faisais mes études des musique. On avait obligation, pour moi une obligation géniale, d’y aller au moins deux fois par semaine. Il y en a qui séchaient, qui rentraient dans la salle et se barraient au bout de dix minutes. Je me rappelle avoir fini tout seul devant Stromboli.
Est-ce à ce moment-là que vous avez construit votre cinéphilie ?J’étais déjà assez cinéphile avant mes études musicales, mais j’allais voir les films en fonction des acteurs. J’ai eu diverses obsessions : Jean Gabin, Lino Ventura… Mais c'est au lycée que j’ai découvert les très vieux classiques. Avant, comme j’étais fan de Gabin, je me suis intéressé aux films de Renoir, de Marcel Carné…
Au conservatoire, je me souviens d'un cycle Mastroianni, j’ai dû voir quinze films de lui en deux mois. C'était d'ailleurs un cycle assez complet, où on ne nous montrait pas que les « tubes » de Fellini ou Angelopoulos, il y avait même des films « médiocres », d’après ce qu’on dit, comme Ils vont tous bien.
Vous avez réalisé un court-métrage. Avez-vous déjà pensé au long ?Oui, bien sûr. J’ai déjà écrit un film. Il est dans mon tiroir, mais il faut du temps, beaucoup de temps, pour réaliser un film, ça doit être un sacerdoce complet. Quand vous voyez le personnage de Truffaut dans La Nuit américaine, le travail du metteur en scène, c'est exactement ça. Toutes les deux secondes, on vous dit « Ça va le bouton de manchette ? J’ai pensé à un carré blond pour machine »… Il faut être vraiment disponible. On ne peut pas dire « Désolé, je dois aller chez Michel Drucker pour chanter en duo ». Et les ennuis s’accumulent.
Vous avez parlé de Palermo Hollywood, votre dernier album, comme d'un « film sonore »…Au départ de l’album, j’ai la trame d'un petit scénario, totalement inintéressant pour le commun des mortels. J’avais imaginé un homme dont la vie bascule en une nuit à Buenos Aires. J'avais beaucoup aimé un film allemand, Victoria, tourné en un plan-séquence, qui parle d'une jeune femme dont la vie est bouleversée après une nuit en boîte à Berlin.
J'ai donc fait un synopsis d’album. La seule fois où je n’ai pas travaillé comme ça, c’est sur mon album précédent, qui est celui de ma discographie que j’aime le moins, Vengeance.
Dans mes albums, je suis un personnage de film. Sur scène, sur cette tournée, avec Palermo Hollywood, c'est pareil, comme un spectacle vivant. Dans ce cas-là, je suis aussi metteur en scène, comme un metteur en scène de cinéma. Je sais tout ce que je veux, ou plutôt, tout ce que je ne veux pas.
Mais je ne pense pas à la scène quand j’écris un album, c’est toujours dans un deuxième temps. Et pour Vengeance, j’y ai trop pensé… Je ne peux pas me permettre de ne penser qu'à la scène quand je compose un album comme Palermo Hollywood ; je n'aurai la possibilité de jouer avec un orchestre symphonique, comme il y avait à Fourvière, et comme il y aura à la salle Pleyel, que deux fois par an.
Parlez-nous de votre petit rôle dans Personal Shopper, le film d'Olivier Assayas, prix du scénario à Cannes (en salle le 14 décembre).Il faut demander à Assayas pourquoi il m’a demandé de faire ça, et pourquoi il m’a demandé de le faire comme ça. Je n’ai pas vu le film, et je n’ai pas envie de me voir faire le faux Victor Hugo dans un téléfilm. C’était marrant à faire, mais il faut savoir que le scénario était écrit de la sorte : Kristen Stewart tombe sur cette scène de reconstitution d'Hugo qui faisait tourner les tables à Jersey, une reconstitution super cheap et mal jouée. Cette scène, c’est de l’autodérision. Je l’ai jouée de manière pathétiquement drôle, on se marrait en le faisant. Il faut plus le voir comme un caméo dans le film d’un réalisteur que j’adore.
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je suis d acc avec souchon dans je vous aime