Synopsis
Clarisse a dix ans, bientôt onze. Elle vit au bord du lac d’Annecy dans une grande demeure tout droit sortie d’une autre
époque. Toujours près d’elle se tient sa mère, Cathy, qu’elle aime éperdument. Clarisse a un petit frère, Ferdinand qu’elle aimerait voir plus mûr, plus grand mais qui demeure son jouet préféré. Elle a un père, Dominique, impressionnant et possessif, qui dirige (en compagnie de sa soeur) une grande surface animalière : le Paradis des Bêtes.
Parfois, Clarisse voit des choses qu’elle aimerait mieux ne pas voir. Quand elle se réfugie dans son univers de fantaisies et de jeux, le « monde des grands » nous est révélé : un couple qui se déchire, un père jaloux, volage et violent, une mère incapable de se révolter. Un jour, leur fragile quotidien bascule. Ce récit est celui d’une aventure familiale, où l’amour et le pardon finissent par prendre le pas sur la souffrance et la violence : par-delà cette histoire de « grandes » personnes, un autre amour renaît, tendre, presque imperceptible, celui de Clarisse pour son père.
intention de la réalisatrice
Le Paradis des Bêtes est un Conte Réaliste.
Réaliste parce qu’il envisage une famille dans un moment critique, dans les affres et la sauvagerie d’une séparation. Il lève le voile sur la perception que peuvent avoir les enfants pris au coeur de cette tourmente. Quels rôles vont-ils avoir à y jouer ? Comment aimer ses parents quand leur amour à eux est imperceptible et que la tendresse a revêtu un masque de chaos. Il me fallait décortiquer les derniers instants d’une famille avant son implosion et puis aller avec elle jusqu’au bout : au point de non retour, là où les êtres sont acculés et ne peuvent plus se mentir.
Réaliste aussi, parce que cette histoire s’inscrit dans un milieu social précis : celui de commerçants « affairistes » où le luxe s’affiche, tape à l’oeil, et les humanités étouffent. Derrière cette façade rutilante : une belle demeure familiale, des stations de skis qui pétillent de couleurs et de lumières, la violence, crue, n’en ressort que plus forte.
Mais le film est également, sous cette apparente carapace, un Conte parce qu’il porte en lui une part importante de fantaisie, de légèreté liée aux personnalités des enfants, et plus particulièrement à celle de Clarisse. Ainsi, la narration est sans cesse ponctuée de moments ludiques, drôles, comme autant de bouffées d’oxygène. Elle s’articule autour de ce qui attire le regard de la petite fille :
spectacles, tour de magie, façonnage de créatures imaginaires, ombres chinoises, jeux, etc. Cependant, à maintes reprises, cet univers aux couleurs chatoyantes s’assombrit pour céder le pas à un théâtre d’ombres qui se referme sur les enfants, pour mieux les encercler. Le conte est encore là : expression enfantine d’angoisses sourdes et primaires, de celles qui nous construisent. En ce sens, les décors sont comparables au personnage du père : fascinant, puis terrifiant l’instant d’après. La neige étincelante qui contribue à créer des visions quasi féeriques peut tout à coup devenir un étau oppressant, une avalanche. La maison d’Annecy et l’hôtel de Crans Montana ne sont que des cages dorées aussi effrayantes que la maison de pain d’épice du conte de Grimm.
Pour autant, en évoquant le conte, il n’y a pas lieu de basculer vers un onirisme naïf. A l’image des photographies de Martin Parr ou de Jeff Wall, j’aimerais que le Paradis des Bêtes nous donne à voir un étrange monde hyper-réaliste où les comportements sociétaux sont mis en exergue.
Quant aux adultes, si leur violence et leurs souffrances ne sont jamais éludées, ils sont souvent vus comme des êtres fantasmés, au milieu desquels le père se dresse tel une figure de proue. Avec lui, la vie va, avec la même intensité dramatique, du comique au tragique. Dominique met en scène son existence avec une frénésie romanesque et destructrice. De son côté, la mère apparaît à plusieurs reprises sous une forme presque spectrale. Elle avance à tâtons dans la vie, comme ceux à qui on n’a pas donné les armes pour se construire, jusqu’au jour où elle osera se libérer. Dans ce contexte hostile de la séparation, la force de cette histoire tient pour moi à ce qu’il y est avant tout question d’amour.
Les personnages s’aiment - mal certes, mais s’aiment. Je veux tenter de comprendre le sentiment violent qui (dés)unit les membres de cette famille. Je veux laisser apparaître le mal-être de ceux qui font souffrir, comme de ceux qui souffrent. Je veux montrer leur cruauté comme leur humanité et leur beauté. En dépit d’une certaine dureté, se trouve l’espoir de ceux qui après avoir touché le fond, se métamorphosent et renaissent de leurs cendres.
Au-delà de cette histoire d’amour de « grandes personnes », se cache une autre relation complexe, tendue et touchante, celle de Clarisse et son père. La petite fille plante son regard sombre sur les agissements de cet homme : du haut de ses dix ans, elle l’a pris en grippe depuis déjà longtemps. Comment aimer un père infidèle qui brutalise sa mère adorée ? Comment aimer ce père sans avoir le sentiment de trahir sa mère ? Comment aimer un père qui vous aime de façon si égoïste qu’il en devient monstrueux ? Pourtant, malgré tout, il n’a pas que des défauts. Les paradoxes sont là, les sentiments toujours plus troubles qu’ils n’y paraissent. Alors, parfois il la fait rire, parfois elle ne peut s’empêcher de l’admirer sans savoir pourquoi. Et puis, à dix ans, on ne peut pas passer son temps à haïr, on n’a ni la force, ni le coeur fait pour ça… C’est un lien du sang qui voudrait être brisé. En vain. Au cours cette aventure tourmentée que traverse Clarisse, se cache un cheminement qui conduit de la haine aux prémisses d’une reconnaissance. Avec cette histoire, je veux peindre l’esquisse, l’ébauche d’un pardon, la renaissance d’une possible tendresse : celle d’une enfant pour son père.
Clarisse est pour moi tour à tour actrice et spectatrice privilégiée de cette aventure, oscillant entre le monde des adultes et celui de l’enfance. Le film est à l’image de ce regard, contrasté, paradoxal. Il embrasse deux dimensions : la première emprunte de fantaisie, la seconde implacable. Il a la dureté apparente de cette petite fille que la vie oblige à grandir trop vite, puis redevient joyeux et joueur. Il souligne la dualité du film, de son propos et de son traitement. C’est pourquoi, je veux proposer un récit à la fois intimiste et romanesque, aussi violent que sensuel. De même que je veux restituer les imposantes dimensions de certains décors, le caractère majestueux des cimes montagneuses, je désire m’approcher au plus près des personnages, créer une promiscuité qui nous permette de distinguer les particularités de leur peau et de voir leur teint se troubler. Et cela, sans jamais les enlaidir ou cesser de les sublimer, car pour Clarisse, ce sont de vrais héros et je veux vous les restituer ainsi.
Avec Le Paradis des Bêtes, mon but est de traiter un sujet douloureux qui touche un grand nombre de familles sans jamais laisser de côté mon désir, celui de faire de cette histoire familiale un récit piquant, une aventure épique et initiatique, toujours surprenante : un divertissement qui nous interroge.
http://www.sodec.gouv.qc.ca/libraries/cdq/documents/cahier_proj.pdf